Balade au pays de Maillol.

Aristide Maillol.

" Dans les films, il n'y a pas d'embouteillage, les trains arrivent à l'heure ... ". François Truffaut dans La nuit américaine.

La tramontane était déchainée depuis le matin. Mes amis d'Estagel sont habitués : leur maison est protégée de ce vent qui vient de la montagne, au risque de rendre fou. Jacqueline et Christian avaient mis les petits plats dans les grands et le Corbières avait coulé. Ce midi je n'avais rien bu, la route de Perpignan dans cette vallée de l'Agly est sinueuse, dangereuse.

Le ciel bleu pur éclairait le Causse, ses arbres et ses champs de maïs s'étalaient, à perte de vue. Les Pyrénées au fond, le Canigou en majesté. Direction Perpignan, Perpynhia en catalan.

La ville était très en beauté, ciel pur lavé de ses nuages par le marin, ce vent d'autan venant de la mer. Il faut s'y habituer, les enfants deviennent nerveux en ces jours et les têtes souffrent de migraines, souvent douloureusement. La fraîcheur de ces jours de mars proches de Pâques, fin du mois cette année : comme en Espagne la tradition de la Semaine Sainte reste forte.
Je ne voulais pas manquer cette fête, survivance des fêtes du Moyen - Age, la fameuse Sanch . La Semaine Sainte à la catalane.

La Confrérie des Sanch ( Précieux sang du Christ ) a été fondée au XV ème siècle en l'Eglise Saint Jacques de Perpignan. Elle est chargée de célébrer la Passion de la semaine sainte, autrefois elle apportait son aide aux condamnés à mort avant, aprés et pendant l'exécution.

Escorté par une grande partie de la population, le cortège des Pénitents habillés de noir et de rouge porte les attributs de la Passion du Christ. La procession traverse le centre ville, ses rues étroites du Moyen Age ; roulements de tambours et haltes pour se reposer un peu, régulièrement. Il passe très prés du quartier de la communauté gitane qui vit dans les quartiers du centre, linge à sécher aux fenêtres et ribambelles d'enfants jouant dans les ruelles, souvent avec des cartons transformés en jouets bricolés. Ici ou là, la nuit tombée, on vient se rafraichir en sortant les chaises, boire un café, un coup de blanc. Il n'est pas rare d'entendre chanter les guitares et quelques danseuses esquisser les gestes du rituel du flamenco. Vous n'êtes pas à Grenade, à l'ombre de la Sierra Nevada : vous êtes au coeur de Perpignan , Pyrénées Orientales, Catalogne française.

Un joli restaurant du centre ville permet de reprendre des forces : bullinada ( poissons, pommes de terre ) crème brulée " catalane " ; demain il faut rouler un peu.

Procession de la Sanch. Quartier gitan.

La côte méditerranéenne du Roussillon offre de beaux aperçus sur la mer. Collioure qui a vu naître le mouvement Fauve, de Matisse et Derain essentiellement. Joli port et plage plaisante en été. Direction Banyuls, la ville du précieux vin doux et, à quelques kilométres par une route étroite à l'intérieur du pays, le Musée Maillol ( 1861 - 1944 ). Aménagé sur les lieux de son ancien atelier, il regroupe l'oeuvre sculptée et gravée de l'artiste et montre son oeuvre picturale, moins connue, assez émouvante. On sait que la jeune et frêle  Dinah Verny originaire de Roumanie, lui a servi de modéle pour son oeuvre sculptée ; pourtant ses statues, essentiellement de femmes, se caractérisent par leur aspect trés terrestre, bien en chair, aux formes généreuses. La série Méditerranée montre ces femmes dans des poses trés naturelles. On peut en voir une série dans les Jardins du Luxembourg à Paris.

C'est une sculpture figurative, pas d'échappée vers une quelconque abstraction : c'est l'oeuvre d'un terrien, un amoureux de la vie, loin des tourments philosophiques d'un Rodin. Son modéle deviendra sa femme et fera vivre son oeuvre en préservant sa collection, créant le Musée Maillol à Paris dit Fondation Dinah Verny,  qui présente un maximun d'oeuvres de l'auteur et offre réguliérement des expositions temporaires passionnantes : j'ai pu y voir une expo Artemisia Gentileschi ( 1593 - 1656 ), femme peintre influencée par le style expressif du Caravage, dont plusieurs oeuvres venaient du musée napolitain de Capodimonte.  

L'artiste est inhumé dans la terre proche de son atelier surmonté d'une belle statue en bronze représentant une femme coifée d'un bonnet et intitulé Méditerranée. Le musée est trés bien organisé et son oeuvre bien mise en valeur dans des locaux adaptés avec vue sur la campagne voisine.

Abbaye de St Michel de Cuxa

Les Pyrénées étaient trés apparentes, le Canigou montrait quelques séquelles de neige. J'avais décidé de faire un saut à Saint Michel de Cuxa, abbaye romane qui abrite depuis 65 ans le célébre festival de  Prades,  création du violoncelliste catalan Pablo Casals. Cet antifranquiste, trés attaché à l'art et à la liberté de sa chére Catalogne, a fondé et animé ce festival de son énergie farouche, en faisant un haut lieu de la musique de chambre, un festival incontournable pour les solistes, chambristes ou chanteurs. Le cadre de l'abbaye n'offre pas une acoustique parfaite mais le charme du lieu et la convivialité du festival sont un atout qui attire chaque été des milliers d'amoureux de musique classique venant de l'Europe entière, parfois de régions du monde trés éloignées.

J'ai eu l'occasion d'y entendre le quatuor Talich qui a interprété deux quatuors de Beethoven : le public était attentif comme je l'ai rarement vu. Les applaudissements nourris leur ont dit tout le bien que nous en pensions. 

Le monastére roman  fondé au IX siècle a connu une vie monastique intense jusqu'à la Révolution où il fût pillé, ses moines dispersés. La renaissance viendra de Pau Casals qui y créera son célébre Festival en 1954 assurant la pérennité de ce magnifique site dont le cloître est admirable. L'aménagement acoustique a été trés soigné et ce sont des milliers de mélomanes qui y accourent chaque été.

prades-festival-casals.com

Quatuor Talich à St Michel de Cuxa.