Picasso, à la manière de...

Picasso. Autoportrait.

Il n'est pas raisonnable de vouloir être exhaustif à propos de  l'oeuvre prométhéenne de Picasso. Nous examinerons deux tableaux de Picasso " à la manière de "  deux maîtres de la peinture : Eugéne Delacroix  " Femmes d'Alger dans leur appartement " puis Edouard Manet dont " Le déjeuner sur l'herbe " fit scandale. L'étude comparative interroge l'approche novatrice de Picasso en cherchant  à réveler l'originalité de son apport à l'histoire de la peinture.

Femmes d'Alger dans leur appartement.

A la somptuosité feutrée des tapis sur lesquels sont assises les trois femmes, Picasso oppose la simplicité des textures en forme de nattes, simplification que révéle le traitement du tableau : la profondeur des tentures fait place à une peinture à plat, à deux dimensions. Les motifs de la tenture sont similaires à ceux des nattes du sol.

Les personnages sont traités différemment par P.  : la femme allongée sur le tapis semble assise en position haute, elle occupe la bande latérale gauche du tableau. Les deux femmes de droite sont peintes en position allongée ; la servante est placée à l'arrière - plan, prenant une position en retrait contrairement au tableau de Delacroix qui lui donne plus d'importance : la servante invite à entrer dans le tableau. L'expression rêveuse des femmes disparait, seul le visage de la femme de gauche présente un air presque hiératique. Le visage du groupe des deux femmes n'est pas représenté.

Le miroir prend la place de la porte située au fond, porte sylisée comme celle de  Delacroix : il refléte la femme située à gauche en  entier. L'ombre du fond est géométrisée comme tous les éléments du tableau. La  couleur bleu remplace le vert viridien mais confére la même douceur à la sçéne. Avec une palette simple et réduite l'atmosphère chaude, la vitalité de l'ensemble est preservée.

--- Picasso.

 On passe d'une peinture descriptive, d'atmosphére, chez D.  à  une stylisation, une symbolisation de l'espace ; les formes sont épurées, abstraites du portrait originel de Delacroix. 

Le tableau de Delacroix rompait avec la tradition romantique / orientaliste de l'intérieur d'un harem. Les femmes n'y sont plus idéalisées. 

Femmes d'Alger dans leur appartement. Delacroix (1834) / Picasso (1955)

Le déjeuner sur l'herbe.

Picasso rompt avec la méthode de composition classique de Manet : trois personnages disposés en triangle, en pyramide si on ajoute le personnage à l'arrière - plan. Méthode établie à la Renaissance. Manet peint les trois personnages et la femme du deuxième plan en ignorant les lois de la perspective : leur taille est peu modifiée par la distance. Picasso peint l'homme a côté de la femme dénudée de Manet en respectant cette loi. Les variations d'intensité de la lumière sont marquées par des blancs nuancés, estompés, chez Picasso.

Les frondaisons sont chargées du même mystère chez Picasso avec une économie de moyen. La rivière est représentée par un bleu céruléen face aux variations colorées qu'emploie Manet. La composition en nature morte des fruits sur le sol emprunte à la technique impressionniste alors que Picasso fait simple.

La palette de Picasso est restreinte mais l'atmosphère générale demeure. La schématisation anatomique élude le rendu de la nudité qui fait la spécificité du tableau de Manet. Il perd son caractère subversif.

--- Picasso.

Picasso revisite ses prédécesseurs en symbolisant les formes, traitant les différences d'intensité de la lumière par l'usage de la couleur. L'esprit de ces " à la manière de " est conservé mais la " patte " de Picasso se montre dans sa totale originalité. La peinture fait l'objet d'une subversion créatrice : lois de la perspective abolies, représentation à plat, non figurative.

Le déjeuner sur l'herbe. Picasso (1961) / Manet (1863).