Rêve de Lot.

Publié le par LANSAC

Une vielle demeure sur la place. Cazals.
Une vielle demeure sur la place. Cazals.

Mélancolie, astre noir.

Il lui semblait bien avoir entendu le téléphone.

- Oui, c'est bien moi.... Rappelez- moi votre adresse... j'arrive tout de suite.

Les idées se bousculaient dans sa tête. Le trajet est toujours une opportunité de récapituler les possibilités auxquelles il sera confronté dans une vingtaine de minutes. La route déroulait son ruban d'asphalte à 4h du matin. Il connaissait tous les virages de cette route étroite, à cette heure toute rencontre était peu probable. Il se méfiait tout de même. Un animal errant est un obstacle mortel sur ces routes sinueuses du Lot, il le savait.

La ferme était isolée, les chiens aboyèrent, vite calmés par une femme.

- c'est arrivé brusquement : il n'arrivait pas à s'endormir. A présent il s' étouffe.

Mr R. était à demi - assis dans son lit, il toussait ; il paraissait très encombré. D posa son trousseau au pied du lit et en sortit son stéthoscope. Les deux poumons étaient plein de râles crépitants, pas de sifflement : cela écartait une crise d'asthme dont Mr R ne s'était jamais plaint. Pas de doute, le coeur fatiguait, il fallait faire vite. D. chercha une veine au pli du coude et y glissa un cathéter assez gros pour permettre au sang de s'évacuer rapidement.

Mr. R : - Mais vous me saignez docteur !

D. - Calmez-vous ; cela va vous soulager rapidement. Votre coeur a besoin d'être allégé d'une part de votre sang.

Mr R. n'était pas rassuré ; sa respiration se fit plus calme et, au bout d'une vingtaine de minutes elle avait reprit un rythme plus apaisée. L'auscultation faisait entendre un bruit triple dit " bruit de galop " qui signait une décompensation du coeur.

- Vous faites un " Oedéme aigu du poumon ". Rassurez-vous, vous n'avez pas d'infarctus Mais il va falloir beaucoup de repos.

Il n'avait pas été facile de le convaincre mais le résultat fût spectaculaire. Une injection de diurétiques paracheva l'amélioration.
_ Demain je vous donnerai de la digitaline. Je prendrai rendez-vous avec mon confrère cardiologue de Cahors. Il viendra vous visiter. Reposez- vous, je reviendrai vous voir dans la matinée et vous ferai une prise de sang.

En revenant, le jour pointait. Encore une magnifique journée de juin qui commençait. Il mit un CD dans le lecteur de la voiture et les éclats joyeux du Jordu de Clifford Brown éclaircirent rapidement sa pensée : il voyait déjà couler un espresso, rien de tel après un effort de concentration et un stress prolongé...

Il arrêta la voiture sur la place du Barry, le quartier haut du village. La belle maison, bâtisse de l'époque Renaissance, avec son pigeonnier et à droite, reliée par un passage intérieur, sa maison de plein pied, le jardin orné de buis centenaires. Au rez de chaussé, le cabinet médical, relié par un bel escalier de bois en colimaçon, oeuvre de l'ébéniste - artiste local.

Les quatre vieux marronniers étaient en fleurs et embaumaient la place. Sur son banc, le voisin le salua de la main - " toujours en forme Frédéric ?!. "

-vous savez, ces rhumatismes... Tiens Roger veut vous voir, toujours ses problème de respiration .

-Qu'il vienne me voir en début d'après-midi.

Comme toujours beaucoup de rendez-vous, rien d'urgent cependant. Il prit la liste des quelques visites à faire.


- J'irai à Boissierettes en premier. Le fils Bissières a son allergie qui l'empêche de travailler. Et les éternuements pour un peintre...

Il aurait pu fermer les yeux. La route, il l'avait faite cent fois, route étroite cheminant prés d'une forêt de châtaigniers. Il y a en automne beaucoup de cèpes dont il connaissait parfaitement les emplacements privilégiés. Après un virage serré, l'ancien presbytère rénové par les grands - parents, la famille du peintre Roger Bissières, prés de la magnifique chapelle, dans un bouquet de verdure.

-Cette fois Martin, tu m'as l'air bien pris !

Un homme jeune en tablier tâché de peinture sortit de son atelier.

-Merci D. . C'est sympa d'être passé rapidement. J'ai passé une nuit terrible avec mes mouchoirs.

Après lui avoir prescrit un traitement , D. voulut visiter son atelier.

- Je vais te montrer des toiles de mon grand-père ( Roger B.) que j'aime tout particulièrement. Il le précéda dans une grande salle attenante à son atelier qui lui servait de salon de réception pour ses clients et amis .

Boissierettes . Chapelle.
Boissierettes . Chapelle.

Boissierettes . Chapelle.

Roger Bissières. Jaune et gris. 1950. Peinture à l'oeuf. Centre Pompidou.(2) Silence du crépuscule 1964. (4) Grande Composition. 1947. 1964..
Roger Bissières. Jaune et gris. 1950. Peinture à l'oeuf. Centre Pompidou.(2) Silence du crépuscule 1964. (4) Grande Composition. 1947. 1964..
Roger Bissières. Jaune et gris. 1950. Peinture à l'oeuf. Centre Pompidou.(2) Silence du crépuscule 1964. (4) Grande Composition. 1947. 1964..

Roger Bissières. Jaune et gris. 1950. Peinture à l'oeuf. Centre Pompidou.(2) Silence du crépuscule 1964. (4) Grande Composition. 1947. 1964..

Il était intarissable sur son grand-père Roger Bissières ( 1886 / 1964 ). C'était une figure de la peinture contemporaine qui avait introduit en France la peinture non figurative . Son travail l'apparentait à l'école dite de " L'abstraction lyrique ". Natif du Sud - Ouest, il était tombé amoureux du presbytère d'un hameau proche de Marminiac dans le Lot : il l'avait rénové et venait souvent l'été y travailler au calme, quand ses nombreuses activités parisiennes lui en laissaient le loisir. Il y avait vécu ses dernières années et y était mort en 1964.

- Mon père Loutres - Bissières a travaillé ici aussi ; comme tu vois, je reprends la tradition familiale.

D. se fit conduire prés de la chapelle de Boissierette. Il avait tenu à y faire bénir son mariage. Les souvenirs encore frais de cette fête lui revenaient souvent. Les routes depuis Cazals, balisées avec de petits panneaux de bois peints qu'un membre de l'Equipement avait confectionnés indiquaient clairement le chemin aux nombreux convives qui vinrent se garer devant la chapelle. Et surtout, en de nombreux endroits de la route, de jeunes genévriers plantés en bordure, des parties du feuillage déposées directement sur la chaussée embaumaient. Dans la vieille Rover prêtée par des amis, son épouse et lui, conduits par son beau frère, avaient sillonné les petites routes parfumées. Comme dans un rêve.

Roger Bissières. Soleil noir. 1949.

Roger Bissières. Soleil noir. 1949.

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